Contrôle des investissements étrangers et private equity

Abeba Debaudre Negga

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Les solutions d’aujourd’hui seront-elles encore celles de demain ?

A l’heure du renforcement des dispositifs de contrôle des investissements étrangers, le Conseil d’Etat confirme une mise en œuvre moins contraignante du dispositif français à l’égard des fonds d’investissement.

A l’image des annonces récentes du ministre de l’économie et sans attendre le « monde d’après », les dispositifs de contrôle des investissements étrangers continuent leur montée en puissance, la crise sanitaire actuelle – et le risque corrélatif de « prédation » à l’égard d’actifs essentiels sous-évalués – servant à cet égard de véritable catalyseur.

Dans un tel contexte, l’arrêt du Conseil d’Etat du 3 avril 2020 aurait pu passer inaperçu si les décisions appréciant la mise en œuvre du dispositif français de contrôle des investissements étrangers n’étaient pas aussi rares, sans même évoquer la presque coïncidence avec l’entrée en vigueur au 1er avril des modifications – significatives – opérées par la loi Pacte en la matière. Si pour le sophiste cette rareté seule est synonyme de richesse, cet arrêt mérite effectivement une attention particulière, notamment par l’intérêt qu’il représente pour les professionnels du private equity.

En l’espèce, le ministre de l’économie avait autorisé la prise de contrôle d’une société « spécialisée dans la fabrication de fibres diverses pour les secteurs de l’automobile, de l’aéronautique et de l’électronique » par une société luxembourgeoise, détenue indirectement par deux fonds d’investissement, eux-mêmes gérés par une société anglaise. La validité de cette autorisation, consentie en contrepartie d’engagements pris par l’acquéreur « de nature à pérenniser » la cible, était contestée, sans doute par des actionnaires minoritaires de la cible cherchant par ce moyen à faire échec à l’opération.

Si le Conseil d’Etat a rejeté ce recours et confirmé la légalité de la décision concernée, il a toutefois pris explicitement position sur une question essentielle pour les fonds d’investissement, celle de l’appréciation de leur contrôle en matière d’investissements étrangers.

Le Conseil d’Etat confirme à cet égard que cette appréciation doit être effectuée non au niveau des souscripteurs mais au « seul » niveau de la société gestionnaire du fonds – qui plus est en l’espèce « agréée par la Financial Conduct Authority (FCA) » – et des personnes qui la contrôlent. De cette approche, soutenue par les professionnels à l’occasion des travaux d’élaboration de l’arrêté du 31 décembre 2019 refondant les modalités de dépôt des demandes d’autorisation et renouvelée explicitement par ce texte (travaux de Paris Europlace notamment), découlent deux conséquences importantes.

La première est que la domiciliation de la société de gestion détermine la « nationalité » du fonds d’investissement : ne sont considérés comme « étrangers » au sens de cette réglementation que les fonds dont le gestionnaire est domicilié à l’étranger, sans égard ni pour la domiciliation des souscripteurs ni pour la provenance des fonds investis.

La seconde conséquence est que la « seule » chaîne de contrôle qu’il est demandé de communiquer aux pouvoirs publics est celle relative à la société de gestion, ce qui apparaît sans doute une solution préférable par rapport à celle qui concentrerait l’analyse sur les souscripteurs.

Particulièrement bienvenue pour les professionnels car présentant le mérite d’une relative simplicité, il conviendra de vérifier si cette solution s’inscrit véritablement dans la durée. Dans les circonstances exceptionnelles provoquées par l’épidémie de Covid-19, qui poussent la Commission Européenne à œuvrer en faveur d’un renforcement de la protection des actifs stratégiques de l’Union Européenne et conduisent le Gouvernement à étendre significativement le champs d’application du dispositif de contrôle en présence d’investisseurs non-européens, il ne serait pas en effet surprenant que les pouvoirs publics cherchent à élargir cette appréciation du contrôle des fonds d’investissement pour mieux appréhender la variabilité de leurs structures et l’influence – réelle ou supposée – de leurs souscripteurs.

Capital Finance, publié le 4 mai 2020

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